mercredi 4 mars 2015

L’angoisse nous coupe la parole

L’angoisse nous coupe la parole. Parce que l’existant glisse dans son ensemble et qu’ainsi justement le Néant nous accule, toute proposition qui énoncerait l’« être » (dirait le mot « est ») se tait en sa présence. S’il est vrai que dans l’oppression de l’angoisse nous cherchions souvent à combler précisément le vide du silence par un discours au hasard, ce n’est encore là qu’un témoignage pour la présence du Néant.
Que l’angoisse dévoile le Néant, c’est ce que l’homme confirme lui-même lorsque l’angoisse a cédé. Avec le clairvoyant regard que porte le souvenir tout frais, nous sommes forcés de dire : ce devant quoi et pourquoi nous nous angoissions n’était « réellement »… rien. En effet : le Néant lui-même – comme tel – était là.

Martin Heidegger [« Qu’est-ce que la métaphysique ? » (1929), dans Questions I et II, éditions Gallimard, 1968], cité dans Clément Rosset, Le monde perdu, Fata Morgana, 2009.