mardi 2 octobre 2007

Dans la parabole tu as perdu


Bien des gens se plaignent du fait que les paroles des sages ne sont jamais que des paraboles, inapplicables dans notre vie quotidienne – alors que c’est la seule que nous ayons. Lorsqu’un sage dit : « Passe de l’autre côté », il ne veut pas dire que nous devons nous rendre de l’autre côté, chose qu’après tout nous serions capables de faire, si le résultat du trajet en valait la peine, mais il veut parler de quelque au-delà mythique que nous ne connaissons pas, que lui-même serait d’ailleurs bien en peine de définir, et qui ne nous aiderait en rien dans notre vie d’ici-bas. En fait, toutes ces paraboles signifient seulement que l’incompréhensible est incompréhensible, et cela nous le savions déjà. Mais les problèmes avec lesquels nous nous débattons dans notre vie de tous les jours sont des choses tout à fait différentes.
Sur quoi quelqu’un a dit : « Pourquoi vous défendre ? Si vous suiviez les paraboles, vous seriez vous-mêmes devenus des paraboles, et par là même débarrassés des soucis quotidiens. »
Un autre a dit : « Je parie que cela aussi est une parabole. »
Le premier répondit : « Tu as gagné ».
L’autre dit : « Mais hélas seulement dans la parabole ».
Le premier répondit : « Non, en réalité. Dans la parabole tu as perdu».

Franz Kafka, « À propos des paraboles », traduit de l’allemand par Stéphane Mosès, Exégèse d’une légende. Lectures de Kafka, éditions de l’Éclat, 2006.