mercredi 7 décembre 2011

Brossard et moi

Brossard et moi, ça fait deux, mais quand l’un de nous deux mourra, nous ne ferons plus qu’un. Le survivant épousera la sœur de Gabrielle, si elle est encore là. La sœur de Gabrielle ou quelqu’un du pays. Le survivant ira se confesser, attendra sur le parvis de l’église. Rira bien qui viendra. Et si personne ne vient, le survivant rentrera chez nous, dans la maison qui donne sur la mer. Il y fera le guide. C’est ce que nous venons de décider. Ce matin, nos chiens ont ri une dernière fois.
(…)
Au petit jour, quand les premières clefs ouvrent les portes, au lieu de sortir ou de rentrer, je resterai. Debout, puis assis, je regarderai la nuit s’en aller. Brave nuit. La machine à parler n’aura pas cessé de marcher mais son bruit est plus doux, le jour. Le jour, la mémoire sèche. Le jour, on n’éprouve pas le besoin de dire ce qu’on a devant soi. C’est le regard, la nuit, qui gêne et devient fou. Nous aimerions tant voir ce que le jour nous cache.

Pierre Dumayet, Brossard et moi, éditions Verdier, 1989.