mercredi 26 mars 2008

La contestation est toujours une contestation unanimement admise



Pour bien comprendre notre époque, il faut d’abord admettre que la réalité, ou ce qui en tient lieu, est devenue un simulacre qui semble incontestable et demeure jusqu’ici incontesté. On observe quotidiennement le constant appauvrissement de la critique contemporaine qui accepte comme des vérités intangibles les mensonges dominants les plus performants ; qui semble éprouver un goût immodéré pour la vie vécue par procuration et qui participe, sans « états d’âme », à un accroissement général de la servitude volontaire. Dans un monde hypercapitaliste qui élabore en permanence de nouvelles séries de « fictions sociales », la contestation est toujours une contestation unanimement admise.

Jordi Vidal, Servitude & simulacre en temps réel et flux constant. Réfutation des thèses réactionnaires et révisionnistes du postmodernisme, Allia, 2007.

mardi 18 mars 2008

Comme le mot oublié, encore sur nos lèvres il y a un instant


Jamais plus nous ne pouvons recouvrer tout à fait ce qui est passé. Et c’est peut-être une bonne chose. Le choc de la retrouvaille serait si destructeur qu’il nous faudrait cesser sur-le-champ de comprendre notre nostalgie. Mais c’est ainsi que nous la comprenons, et d’autant mieux que le passé est plus profondément enfoui en nous. Comme le mot oublié, encore sur nos lèvres il y a un instant, qui délivrerait notre langue dans une envolée démosthénienne, le passé nous semble alourdi de toute la vie vécue qu’il nous promet. Il se peut que ce qui rende le passé si lourd et si prégnant ne soit rien d’autre que la trace d’habitudes disparues dans lesquelles nous ne pourrions plus nous retrouver. La manière dont ce passé est combiné aux grains de poussière de notre demeure en ruine est peut-être le secret qui explique sa survie.

Walter Benjamin, « La boîte de lecture », Sens unique précédé de Enfance berlinoise et suivi de Paysages urbains, traduit de l’allemand par Jean Lacoste, nouvelle édition revue, Maurice Nadeau, 1988.

samedi 8 mars 2008

On pourrait être sincère, sans dire toute la vérité ; on pourrait, sans mentir, ne pas la dire toute


109. La réserve n’est pas un moyen terme entre la vérité et le mensonge car entre ces deux termes, il n’y a rien. Elle ne s’oppose pas, ni à la vérité, ni à la sincérité – mais à la franchise. « Entre la véracité et le mensonge il n’y a pas de milieu, tandis qu’il en existe un entre la franchise qui consiste à tout dire et la réserve qui consiste à ne pas dire en exprimant sa pensée toute la vérité bien que l’on ne dise rien qui ne soit pas vrai. » (Kant) Elle me contraint à penser que l’on pourrait être sincère, sans dire toute la vérité ; que l’on pourrait, sans mentir, ne pas la dire toute.

(...)

113. Tel est l’« enseignement » que Maria von Herbert reçoit de Kant. « Le défaut de sincérité est une corruption de la façon de penser et un mal absolu. Celui qui n’est pas sincère dit des choses dont il sait pertinemment qu’elles sont fausses ; dans la Doctrine de la vertu cela s’appelle « le mensonge ». Aussi inoffensif soit-il, il n’est pas pour autant innocent ; bien plus, il porte gravement atteinte au devoir qu’on a envers soi-même, et qui est absolument irrésistible parce que sa transgression abaisse la dignité humaine dans notre propre personne et attaque notre manière de penser à la racine ; en effet, la tromperie sème partout le doute et le soupçon, et ôte à la vertu elle-même la confiance qu’elle inspire dès lors qu’il faut la juger d’après ses apparences. »

Hélène Frappat, Sous réserve, éditions Allia, 2004.