lundi 31 août 2009

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Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr.

Nicolas Bouvier, L’Usage du monde, Droz, 1963.

dimanche 23 août 2009

On frappe



Si nous n’étions pas encore du tout, nous ne serions là pour personne. Mais cette demi-existence où nous sommes peut être aisément dérangée du dehors. Elle n’est pas assez peu, ni assez dense pour y résister. Dans tout ce qui peut nous déranger, il est déjà question de mourir, ce qui nous disperse encore plus qu’on ne l’est déjà, de toute façon. Les coups frappés à la porte qui nous arrachent au sommeil, voire à un travail absorbant, nous font sursauter, mais surtout ils nous piquent et nous paralysent. Dans ces dérangements on pressent déjà quelque chose de la mort ; le travail pénible ne nous absorbe pas assez, au contraire, il nous rend encore plus sensibles. Et l’arrachement ne nous ramène pas toujours à nous-mêmes. Il n’ouvre sur rien de bon. On peut déjà sentir là quelque chose d’intempestif, peut-être faible et vraisemblablement faux, c’est pourtant là et on bute. Des amis deviennent alors facilement des étrangers, évidemment on voit aussi ce que nous sommes et ce qu’ils sont pour nous, quand le léger coup qui nous dérange cesse. On sent alors qu’on n’a pas fini, qu’on ne peut justement pas bien s’arrêter là. En tout cas, ce n’est pas toujours l’attendu qui frappe à la porte.

Ernst Bloch, Traces, traduit de l'allemand par Pierre Quillet & Hans Hildebrand, Gallimard, 1968.

samedi 22 août 2009

La sottise va toujours de l'avant



L’inintelligence s’en tient, si l’on veut, à un constat de non-compréhension: elle ne réussit pas à capter un certain nombre de messages. Elle reste coite, silencieuse. Aucun rapport avec la sottise qui reçoit et émet un nombre infini de messages. La sottise est de nature interventionniste : elle ne consiste pas à mal ou à ne pas déchiffrer, mais à continuellement émettre. Elle parle, elle n’a de cesse d’en « rajouter ». L’intelligence subit, la sottise agit : elle garde toujours l’initiative. L’inintelligence est en retrait, se dérobe à un message auquel elle n’entend rien ; la sottise, elle, va toujours de l’avant. L’inintelligence n’est qu’un refus, ou plutôt une impossibilité de participation ; la sottise se manifeste, au contraire, par un perpétuel engagement. L’inintelligence ferme des portes : elle signale l’interdiction de certaines voies d’accès à telle ou telle connaissance, rétrécissant ainsi le champ de l’expérience. La sottise ouvre à tout : faisant de n’importe quoi un objet d’attention et d’engagement possible, elle fournit de l’occupation pour la vie.

Clément Rosset, Le Réel et son double, Paris, éditions de Minuit, 1977.

mardi 11 août 2009

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Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre.
Blaise Pascal

Il faut voyager loin, afin que lorsque, des mois après, on foule le plancher de sa chambre, on sache où l’on doit placer sa chaise.
Walter Benjamin