lundi 19 juin 2006

Deux Hongrois



Ma mère avait deux fils, treize et quatorze ans, qu’elle aimait et qui se noyèrent dans l’étang du parc de l’Hélix. Croyant la duper, on les remplaça par deux enfants hongrois, mais immédiatement elle sentit la supercherie et pleura ses enfants disparus, entretenant dans leur chambre la chandelle, la tapisserie et la fenêtre. Cela est vrai puisqu’elle me l’a raconté.
(…)
Ce qui est certain, c’est que je ne me suis jamais noyé, et mon frère non plus, car nous savions nager.
(…)
Et les deux Hongrois voyagèrent à travers le monde, pédalant à grande vitesse, marchant, payant leurs passages en monnaie magyare. Dans le port de Québec, on les confondit avec deux marins en bordée à cause de leurs pantalons amples et de leurs bérets bleus.

Eugène Savitzkaya, Sang de chien, Editions de Minuit, 1989.

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