vendredi 20 août 2010

Qu’est-ce donc que notre prochain ?



Qu’est-ce donc que nous considérons chez notre prochain comme ses limites, je veux dire ce par quoi il met en quelque sorte son empreinte sur nous ? Tout ce que nous comprenons de lui, ce sont les changements qui ont lieu sur notre personne et dont il est la cause – ce que nous savons de lui ressemble à un espace creux modelé. Nous lui prêtons les sentiments que ses actes provoquent en nous et nous lui donnons ainsi le reflet d’un faux positif. Nous le formons d’après la connaissance que nous avons de nous-mêmes pour en faire un satellite de notre propre système : et lorsqu’il s’éclaire ou s’obscurcit pour nous et que c’est nous , dans les deux cas, qui en sommes la cause dernière – nous nous figurons cependant le contraire ! Monde de fantômes où nous vivons ! Monde renversé, tourné à rebours et vide, et que pourtant nous voyons comme en rêve sous un aspect droit et plein !

Friedrich Nietzsche, Aurore. Réflexions sur les préjugés moraux, § 118, traduction de l’allemand par Henri Albert, revue par Angèle Kremer-Marietti, Librairie générale française, Livre de poche, 1995.