mardi 26 août 2008

Se souvient-il un jour seulement d’avoir été sûr de quelque chose, un tant soit peu convaincu


Photo : Denis Dailleux

Le soir, dans le bureau-bibliothèque, il craque une allumette sur le frottoir, aspire une bouffée de cigare. Burns. Rbt Burns. Il faut y aller, se dit-il. Puis, illico, à quoi bon. C’est peu dire qu’il hésite, il est l’hésitation. Se souvient-il un jour seulement d’avoir été sûr de quelque chose, un tant soit peu convaincu. Non, il ne le croit pas, encore que, peut-être. Il hésite même sur la question de savoir si, oui ou non, il a toujours hésité. Une chose est sûre, toutefois, semble-t-il, cela doit changer. Car, avec ce tempérament, se dit-il, tu n’es pas au bout de tes peines ou alors, tu n’iras pas loin. (Il y a plusieurs formulations du désarroi de Boz.)
Il se lève. Il quitte la table. Il amorce un petit déplacement vers la double fenêtre et sort sur la terrasse. C’est la nuit maintenant. Chaude. Il s’accoude à la balustrade. Une grosse nuit chaude du plein été. De son poste d’observation ; il suit dans le port l’arrivée du dernier ferry. Le bateau glisse dans le silence, fictif presque, enfantin. Il n’est plus très loin de la digue, il double le vieux phare veuf de faisceaux. Mais la lauze des quartiers en contrebas masque une fois de plus les ultimes manœuvres d’approche et le sort de la pilotine, sur la droite, qui disparaît. Tout juste s’il imagine l’agitation à bord des hommes d’équipage, le choc amorti par les pneumatiques à demi immergés, les barbillons d’algues, les nappes d’huile. Ça y est. Autour de l’écubier, les câbles torsadés ont tendu leurs moustaches. La porte du garage s’entrouvre doucement sur une kyrielle impatiente – broum-broum – de passagers en auto.

[…]
Il se dit que, finalement, il suffit de regarder les gens vivre, ou soi-même. N’ajouter rien.

Christian Costa, L’Été deux fois, éditions de Minuit, 1989.