vendredi 27 octobre 2006

Dans les paroles sans nombre prononcées par les hommes un sens à pris corps qui nous surplombe



Il est bien probable que nous appartenons à un âge de critique dont l’absence d’une philosophie première nous rappelle à chaque instant le règne et la fatalité. Âge d’intelligence qui nous tient irrémédiablement à distance d’un langage originaire. Pour Kant, la possibilité d’une critique et sa nécessité étaient liées, à travers certains contenus scientifiques, au fait qu’il y a de la connaissance. Elles sont liées de nos jours — et Nietzsche le philologue en témoigne — au fait qu’il y a du langage, et que, dans les paroles sans nombre prononcées par les hommes — qu’elles soient raisonnables ou insensées, démonstratives ou poétiques — un sens à pris corps qui nous surplombe, conduit notre aveuglement, mais attend dans l’obscurité notre prise de conscience pour venir à jour et se mettre à parler. Nous sommes voués historiquement à l’histoire, à la patiente construction de discours sur les discours, à la tâche d’entendre ce qui a été déjà dit…

Michel Foucault, Naissance de la clinique, Préface, Presses universitaires de France, 1963.