samedi 1 novembre 2014

Un cheval te porte, telle est la métaphore

Nietzsche a écrit : « Un cheval te porte, telle est la métaphore. » Après les transferts qui transforment les aparlants qui crient très fort en prête-noms qui parlent sans fin, les métaphores définissent les chevaux qui font aller à toute vitesse au sein du langage, sautant de pierre en pierre, de visage en visage, de mot en mot, de texte en texte, d’image en image, comme dans les rêves.

Ce fut l’œil du cheval que monte Antonio Giulio Brignole qui bouleversa Nietzsche à Gênes. Il le nota aussitôt sur son carnet, en 1877, sortant du palazzo Rosso.
Van Dyck peignit cet œil en 1621.
Nietzsche note simplement que l’œil du cheval de Van Dyck est « plein d’orgueil » et que sa vision l’a « remis d’un coup sur pied » alors qu’il se trouvait en pleine dépression. Onze ans plus tard, en avril 1888, Nietzsche loue une chambre au 6 via Carlo Alberto à Turin. Quand il sort, il traverse la place, il emprunte la contre-allée, il suit la rive du Pô. Le 3 janvier 1889, Piazza Carlo Alberto, devant la fontaine, il regarde un vieux cheval humilié que son propriétaire frappe avec violence. Le cheval regarde Nietzsche avec un tel air de douleur que ce dernier, court vers lui, l’enlace et perd à jamais l’esprit.

Pascal Quignard, Les Désarçonnés, Grasset, 2012.