dimanche 21 janvier 2007

Où l’homme s’est-il caché ?



Un jour que Valéry s’ennuyait, il s’approcha de la fenêtre et, le regard perdu dans la transparence d’une vitre, demanda : « Le moyen de cacher un homme ? » Gide était présent ; déconcerté par ce laconisme étudié, il se tut. Pourtant, les réponses ne manquaient pas : tous les moyens sont bons depuis la misère et la faim jusqu’aux dîners priés, de la maison centrale à l’Académie. Mais ces deux bourgeois trop fameux avaient bonne opinion d’eux-mêmes ; ils faisaient tous les jours publiquement la toilette de leurs âmes jumelles et croyaient se révéler dans leur vérité nue ; quand ils moururent, longtemps après, l’un morose, l’autre satisfait, tous les deux dans l’ignorance, ils n’avaient pas même écouté la voix qui criait pour nous tous, leurs petits-neveux : « Où l’homme s’est-il caché ? Nous étouffons ; dès l’enfance on nous mutile : il n’y a que des monstres ! »

Jean-Paul Sartre, Préface (1960) à Paul Nizan, Aden, Arabie, 1932, Éditions François Maspero, 1960.