samedi 12 décembre 2015

Le stéréotype est la voie actuelle de la « vérité »

Le stéréotype, c’est le mot répété, hors de toute magie, de tout enthousiasme, comme s’il était naturel, comme si par miracle ce mot qui revient était à chaque fois adéquat pour des raisons différentes, comme si imiter pouvait ne plus être senti comme une imitation : mot sans-gêne, qui prétend à la consistance et ignore sa propre insistance. Nietzsche a fait cette remarque, que la « vérité » n’était que la solidification d’anciennes métaphores. Eh bien, à ce compte, le stéréotype est la voie actuelle de la « vérité », le trait palpable qui fait transiter l’ornement inventé vers la forme canoniale, contraignante, du signifié. (Il serait bon d’imaginer une nouvelle science linguistique ; elle étudierait non plus l’origine des mots, ou étymologie, ni même leur diffusion, ou lexicologie, mais les progrès de leur solidification, leur épaississement le long du discours historique ; cette science serait sans doute subversive, manifestant bien plus que l’origine historique de la vérité : sa nature rhétorique, langagière.)

Roland Barthes, Le Plaisir du texte, éditions du Seuil, 1973.