dimanche 20 septembre 2015

Brimer les enfants si l’on veut en faire des poètes

Dans le Tigré, quand on voit un enfant écrire, on lui prédit qu’il va devenir sorcier. Et l’étudiant qui trace des signes dans le sol se voit récompensé par des coups sur les doigts, avec une baguette très dure.
Marcel Griaule, qui se fait l’écho de ces pratiques dans Silhouettes et graffiti abyssins, suggère que les prêtres craignent la concurrence, le partage des privilèges et des profits, au point qu’ils déconsidèrent l’initié : un enfant qui manie le roseau taillé, c’est un prétentieux qui « court comme un écrivain derrière les grands », ou s’empresse de vendre les remèdes recopiés sur des peaux. Mais derrière ces motifs intéressés, se cache aussi l’intention de protéger celui qui veut apprendre, de le mettre en garde et de l’éprouver. Car l’écriture, malsaine et dangereuse, est « servante de la magie ».
Les adeptes du dieu Toth, les interprètes de la Kabbale, les copistes de grimoires médiévaux ne pensaient pas autrement, et leurs pratiques à l’égard des disciples n’étaient guère différentes.

Henri Michaux exprime la même idée, plus brutale en apparence mais tempérée par l’ironie, quand il recommande de brimer les enfants si l’on veut en faire des poètes.

Gérard Macé, Pensées simples, Gallimard, 2011.