samedi 1 février 2014

C’est seulement quand l’année est révolue qu’il est possible de dire dans quel ordre ses douze mois se sont succédé

J’ai connu Mme Durand à une époque où elle prévoyait qu’elle serait bientôt mère. D’accord avec M. Durand et avec l’oncle Dupont, elle disait : – « Si c’est une fille, nous l’appellerons Hortense. » – Ce fut bien une fille qui vint au monde ; mais c’était la petite Lucie. Hortense ne devait venir que trois ans plus tard.
Les Durand ne soupçonnèrent jamais l’erreur qu’ils commettaient. Seulement, quand la fausse Hortense avança en âge, son humeur bizarre inquiéta sa mère, laquelle répétait souvent : – « Je ne la reconnais pas ; ce n’est plus elle. »
— Parbleu ! C’était Lucie, dont la personnalité, peu à peu, se dessinait. Nous procédons tous comme Mme Durand. Avant de savoir comment sera le mois qui succédera à janvier, nous l’appelons février. Ce second mois de l’année sera-t-il clair, tiède et plein de promesses, ou bien hostile, saumâtre et déprimant ? Personne ne serait capable de le dire d’avance.
Avant de mettre sur un mois l’étiquette « février », il serait bon de l’observer attentivement. C’est seulement quand l’année est révolue qu’il est possible de dire dans quel ordre ses douze mois se sont succédé. Mais, toujours pressés et toujours paresseux, les hommes en sont réduits à nommer les choses avant de les étudier et avant de les connaître. Ce n’est pas fatigant et c’est assez commode.
Le mois de février a quelques jours de moins que les autres : on n’a jamais pu savoir pourquoi. Ce n’est en tous cas pas le froid qui explique cette contraction ; car décembre, janvier et mars sont très longs.

Henri Roorda [van Eysinga], Almanach Balthazar, dans Œuvres complètes, L'Âge d'homme, 1970.