Asiniam melancholiam
Hercule de Saxonie remarque, de même que Guaineri, que ceux qui sont naturellement mélancoliques ont un teint plombé ou noir ; c’est également le cas des personnes qui, en imagination, se voient souvent mortes, ou de celles qui croient voir des hommes noirs, des morts, des esprits et des gobelins et qui parlent avec eux, tout cela exagérément. Ces symptômes varient en fonction des proportions des autres humeurs non adustes, ou des proportions des quatre humeurs adustes, dans le cas de la mélancolie non naturelle. Car, comme l’a écrit Alexandre de Tralles, il n’existe pas de cause unique de la mélancolie, ni d’humeur, qui à elle seule, suffise à la provoquer, mais c’est la diversité des mélanges, selon des proportions changeantes, qui produit cette grande variété de symptômes, variété qui dépend aussi de la chaleur ou de la froideur. La mélancolie froide (explique Benedetto Vettori) provoque le délire et des symptômes moins graves, tandis que si elle est chaude ou plus aduste, elle occasionne des passions extrêmement violentes et la fureur. Fracastoro nous demande de bien distinguer le type de mélancolie qui affecte les gens, car il est très utile de savoir s’il s’agit d’une chaleur torride qui pousse à la fureur ou si les gens sont possédés par une froide tristesse, dans un cas les personnes sont honteuses et timides, dans l’autre impudentes et vaillantes, à l’exemple d’Ajax, qui saisit ses armes et, furieux, défie les dieux, plutôt fou ou ayant une tendance à la folie, et se précipite d’abord sur ceux-ci, puis sur ceux-là. Bellérophon, en revanche, allait seul, misérable, errait dans la plaine : l’un est au désespoir et pleure, las de la vie, l’autre rit, &c. Cette grande diversité provient des différents degrés de chaud et de froid, lesquels, selon Hercule de Saxonie, sont dus uniquement à la dyscrasie des esprits vitaux, particulièrement des esprits animaux, mais aussi des esprits immatériels, car ces derniers sont la seconde cause immédiate de la mélancolie, selon qu’ils sont chauds, froids, secs, humides, et c’est leur agitation qui produit la diversité des symptômes, énumérés dans le 13e chapitre de son traité sur la mélancolie – et ce, plus ou moins dans toutes les parties du corps. Selon d’autres auteurs, il s’agit des différentes adustions des quatre humeurs, c’est-à-dire, en ce qui concerne cette mélancolie non naturelle, la corruption du sang et la bile aduste, et, en ce qui concerne la mélancolie non naturelle, en raison d’une dyscrasie chaude excessive qui se transforme, contrairement à ce qui passe pour la mélancolie naturelle, en une lessive acide, due à la puissance de l’adustion, ce qui provoque divers symptômes étranges selon les différences entre leurs matières, symptômes que Bright énumère dans son chapitre suivant. Arculano fait de même, ainsi que d’autres auteurs, en fonction des quatre humeurs principales.
Par exemple, si la mélancolie est due au flegme (ce qui est relativement moins fréquent), elle engendre des symptômes moins violents et une sorte de stupidité, ou douleur sans passion ; les personnes flegmatiques, dit Savonarole, ont l’air endormi, elles sont indolentes, froides, lentes, stupides, pareilles à des ânes ; Mélanchthon parle d’asiniam melancholiam, elles pleurent souvent et prennent plaisir à se tenir près de l’eau, des étangs, des rivières, elles aiment pêcher et chasser les oiseaux, &c. Elles ont le teint pâle, sont paresseuses, s’endorment facilement, se sentent lourdes, souffrent souvent de migraines, méditent sans cesse & se parlent à elles-mêmes; elles rêvent d’eau, qu’elles sont sur le point de se noyer et redoutent intensément ces choses-là. Ces gens-là sont plus corpulents que les mélancoliques d’autres types, plus pâles, ont le teint brouillé, crachent souvent, ils sont endormis, plus sujets aux écoulements muqueux que les autres et ont toujours le regard baissé. Hercule de Saxonie avait une patiente de ce genre, une veuve vénitienne qui était grosse et toujours somnolente, et Cristóbal de Vega soignait lui aussi un patient flegmatique. Si cette maladie devient chronique et violente, les symptômes en sont plus visibles, ces personnes sont évidemment insensées & tous leurs gestes, leurs actions, leurs paroles les ridiculisent aux yeux des autres ; elles imaginent des choses impossibles, comme ce patient de Cristóbal de Vega, qui se prenait pour un tonneau de vin et ce Siennois qui avait décidé de ne plus pisser de crainte de noyer toute la ville.
Robert Burton, The Anatomy of Melancholy, What it is: With all the Kinds, Causes, Symptomes, Prognostickes, and Several Cures of it. In Three Maine Partitions with their several Sections, Members, and Subsections. Philosophically, Medicinally, Historically, Opened and Cut Up, 1621 ; L'Anatomie de la mélancolie, traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner, éditions José Corti, 2000, nouvelle édition 2004.