vendredi 1 décembre 2006

Ainsi nous établissons la cartographie d’un corps



Bref : si nous sommes spinozistes, nous ne définirons quelque chose ni par sa forme, ni par ses organes et ses fonctions, ni comme substance ou comme sujet. Pour emprunter des termes au Moyen Âge, ou bien à la géographie, nous le définirons par longitude et latitude. Un corps peut être n’importe quoi, ce peut être un animal, ce peut être un corps sonore, ce peut être une âme ou une idée, ce peut être un corpus linguistique, ce peut être un corps social, une collectivité. Nous appelons longitude d’un corps quelconque l’ensemble des rapports de vitesse et de lenteur, de repos et de mouvement, entre particules qui le composent de ce point de vue, c’est-à-dire entre éléments non formés. Nous appelons latitude l’ensemble des affects qui remplissent un corps à chaque moment, c’est à dire les états intensifs d’une force anonyme (force d’exister, pouvoir d’être affecté). Ainsi nous établissons la cartographie d’un corps. L’ensemble des longitudes et des latitudes constitue la Nature, le plan d’immanence ou de consistance, toujours variable, et qui ne cesse pas d’être remanié, composé, recomposé, par les individus et les collectivités.

Gilles Deleuze, Spinoza, philosophie pratique, Éditions de Minuit, 1981.