lundi 2 juillet 2007

La vérité est un serviteur docile et obéissant


Charles Ray


Loin d’être un maître solennel et sévère, la vérité est un serviteur docile et obéissant. Le scientifique s’abuse lui-même quand il suppose qu’il est un esprit uniquement voué à la recherche de la vérité. Il ne s’intéresse pas aux vérités triviales qu’il pourrait ressasser sans fin, mais s’occupe de résultats d’observations irréguliers et à facettes multiples, qui ne lui fourniront pas plus que des suggestions pour des structures globales et des généralisations significatives. Il recherche le système, la simplicité et la portée ; et quand il est satisfait sur ces rubriques, il taille la vérité à leur mesure. Il décrète autant qu’il découvre les lois qu’il établit, il dessine autant qu’il discerne les modèles qu’il définit.

Nelson Goodman, Ways of Worldmaking, 1978, traduit de l’américain par M.-D. Popelard, Manières de faire des mondes, Jacqueline Chambon, 1993.

Dans notre reconception, la connaissance, également harcelée par la certitude et l’incertitude, débouche sur la compréhension (understanding). Là où la connaissance exige habituellement vérité, croyance et preuve, la compréhension n’exige rien de tout cela. Des énoncés peuvent être compris abstraction faite de leur vérité et abstraction faite de la croyance qui s’y attache ; et nous pouvons comprendre requêtes, interrogations, verbes et danses, bien qu’ils ne soient ni vrais ni faux, et qu’ils ne soient pas plus objets de croyance que d’incrédulité, ou encore susceptibles de démonstration ou de réfutation. Tout comme la correction est de plus large portée que la certitude, la compréhension est d’une plus grande portée que la connaissance.

Nelson Goodman & Catherine Z. Elgin, Reconceptions in Philosophy and Other Arts and Sciences, 1988, traduit de l’américain par Jen-Pierre Cometti & Roger Pouivet, Reconceptions en philosophie, dans d'autres arts et dans d'autres sciences, Presses universitaires de France, 1994.