mardi 15 mai 2007

L’économie ne peut offrir à satisfaire que les besoins dont elle est l’auteur



On dit que le progrès des forces productives nous a débarrassés de toutes sortes d’inconforts du passé, et c’est exact, mais c’était pour installer les siens à la place, plus onéreux, plus compliqués et sujets aux pannes. Un escalier étant une chose simple et commode, il peut être beau et n’est jamais ennuyeux.
L’économie le supprime en le déclarant fatigant, en disant qu’à ses yeux l’homme mérite un ascenseur ; elle peut ensuite entasser celui-ci sur trente étages et lui vanter ce progrès sur les maisons basses de ses ancêtres, leurs châteaux éclairés à la bougie.
L’apologie des innovations se ramène invariablement à ces sophismes grossiers qui masquent le simple fait que l’économie ne peut offrir à satisfaire que les besoins dont elle est l’auteur : elle isole chacun dans une vie suffocante et inepte, et s’émerveille elle-même de devoir lui fournir ensuite tant d’accessoires : il y a effectivement un ascenseur pour atteindre le vingt-troisième étage et un congélateur pour y ranger la nourriture frigorifique ; il y a effectivement des progrès incroyables dans le traitement des allergies qui se multiplient ; on propose au consommateur prostré dans sa tour d’habitation des câbles numériques débitant cent cinquante programmes de radiovision (au moyen de cette nouvelle décompression numérique) et des week-ends instantanés sous les tropiques, etc., et l’employé de bureau le soir peut lire Sade sous l’hallogène, etc.


Baudouin de Bodinat, La Vie sur terre. Réflexions sur le peu d'avenir que contient le temps où nous vivons, tome premier, Editions de l'Encyclopédie des nuisances, 1996.



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