Existentialisme et pantalon
Christer Strömholm
Comment expliquer que l’existentialisme ne m’ait pas séduit ? Je n’étais peut-être pas tellement loin de choisir une existence qu’ils appellent authentique – au rebours de la vie légère de l’instant, cette vie qu’ils disent banale –, de la choisir, si grande est la pression universelle de l’esprit de sérieux. Dans les temps rudes que nous sommes en train de vivre, il n’existe ni pensée ni art qui ne vous appelle à grande voix : voyons, ne t’esquive pas, n’élude pas, accepte le jeu décisif, assume ta responsabilité ; surtout ne plaisante pas, ne fuis pas, ne te défile pas ! Bon, mais moi, je voulais tout de même essayer de ne pas me mentir au sujet de ma propre existence. Alors je me mis en devoir d’essayer cette vie authentique et d’user d’une loyauté absolue vis-à-vis de l’existence. Eh bien non, ça n’allait pas, car cette authenticité se révélait encore plus mensongère que tout l’arsenal de mes bonds, sauts, feintes et cabrioles pris ensemble. Avec mon tempérament d’artiste, si je ne m’y connais guère en théorie, je possède pas mal de flair lorsqu’il s’agit de style. Lorsque, pour vivre, j’eus recours au maximum de conscience, en essayant d’établir mon existence en elle, je m’aperçus qu’il m’arrivait quelque chose de stupide. Rien à faire ! rien ne marchait. Il est absolument impossible de se plier aux exigences de « l’existence authentique », et de prendre en même temps son café-crème avec des croissants au goûter – non, il n’est pas possible de concilier la « conscience définitive » avec le fait qu’on circule en pantalon et qu’on parle au téléphone. Vous pouvez inventer tout ce que vous voudrez, mettre ce machin à toutes les sauces, il y a là quelque chose d’irréconciliable.
Witold Gombrowicz, Journal 1953-56, traduit du polonais par Allan Kosko, Éditions Christian Bourgois, 1981, rééd. Gallimard 1995.