lundi 14 août 2006

Ce soir à Samarcande



Il y avait une fois dans Bagdad un calife et son vizir… Un jour, le vizir arriva devant le calife pâle et tremblant. « Pardonne mon épouvante, Lumière des croyants, mais devant le palais, une femme m’a heurté dans la foule. Je me suis retourné et cette femme au teint pâle, aux cheveux sombres, à la gorge voilée par une écharpe rouge était la mort. En me voyant, elle a fait un geste vers moi. (…) puisque la mort me cherche ici, Seigneur, permets-moi de fuir me cacher loin d’ici, à Samarcande. En me hâtant, j’y serai avant ce soir. » Sur quoi, il s’éloigna au grand galop de son cheval et disparut dans un nuage de poussière vers Samarcande. Le calife sortit alors de son palais et lui aussi rencontra la mort. « Pourquoi avoir effrayé mon vizir, qui est jeune et bien portant ? » demanda-t-il. Et la mort répondit : « Je n’ai pas voulu l’effrayer mais en le voyant dans Bagdad, j’ai eu un geste de surprise, car je l’attends ce soir à Samarcande ».

Clément Rosset, Le Réel et son double, Gallimard, 1976, nouvelle édition augmentée, 1993.