L’émotion provoquée par la catastrophe
La relative et surprenante facilité avec laquelle nous supportons la fin d’une relation intime vient de ce que nous gardons encore en nous un peu de l’émotion provoquée par la catastrophe. Celle-ci a ranimé en nous toutes les énergies possibles dont l’élan nous porte encore pendant un certain temps et nous permet de tenir debout. Mais la mort d’un être aimé ne déploie pas toute son horreur à la première heure, parce que d’abord le temps continue à se dérouler, ramenant ainsi toutes les situations dont il était un élément : nous devons à présent les vivre comme si on nous avait arraché un membre, et le premier moment ne pouvait pas nous y préparer en nous montrant tout cela – de la même manière on pourrait dire qu’une relation précieuse ne se défait pas dans le premier moment de la séparation, où ce sont au contraire les raisons de sa fin qui occupent notre conscience ; mais nous n’éprouvons cette perte de toutes les heures qu’au gré des circonstances, et pour cette raison ce n’est souvent que bien plus tard que notre sensibilité, qui semblait au début la supporter avec une certaine indifférence, y réagit vraiment.
Georg Simmel, « le Conflit », Sociologie. Etudes sur les formes de la socialisation, 1908, 1992, traduit de l’allemand par Lilyane Deroche-Gurcel et Sybille Muller, Presses universitaires de France, 1999.