mardi 29 août 2006

Pas d’excuse ni de plainte, pas de pacte



Il y a des gens de ma génération auxquels je suis lié par le sentiment d’un naufrage commun. Nous nous considérons mutuellement comme de forts sympathiques naufragés. Souvent, je les connais à peine, mais quand j’en rencontre un, nous sommes pleins d’égards l’un pour l’autre, pleins de considérations aussi. Nous savons. Entre gens intelligents, le naufrage, la conversation en outsider de la vie créent quasiment des liens de sang. À condition qu’on n’en parle pas. Pas d’explication, pas d’excuse ni de plainte, pas de pacte. D’où le préalable de l’intelligence : les deux naufragés doivent se reconnaître intimement, et intuitivement aussi savoir qu’ils ont été reconnus.

Jan Zabrana, Toute une vie [journal de l’année 1969], traduit du tchèque par Marianne Canavaggio & Patrick Ourednik, Editions Allia, 2005.