samedi 15 juillet 2006

Je suis toujours dans le cirque d’Oklahoma



Je n’ai aucun souvenir de cette année-là sauf qu’il y eut des élections et que quelqu’un, par une nuit qui me parut infinie, jura et rejura que j’étais catalan. Je passai mon chemin. Je tournai au coin d’une rue. La tramontane soufflait fort, et je me souvins que dans ma jeunesse je désirais être beaucoup de personnes et beaucoup de lieux à la fois, car n’être qu’une seule personne me semblait bien peu. En tournant à un autre coin de rue et en me faisant fouetter plus violemment que jamais par le vent, je constatai quelque chose que je soupçonnais depuis longtemps. Nous sommes trop semblables à nous-mêmes, et nous courons le risque de finir par trop nous ressembler. À mesure qu’on avance dans la vie, les mêmes manies, le même personnage insignifiant se figent. Je tournai encore à un coin de rue et depuis je ne me suis pas réveillé de ce cauchemar qui consiste à se réveiller d’un cauchemar et à voir que je suis toujours dans le cirque d’Oklahoma, et qu’il n’y a pas d’issue.

Enrique Vila-Matas, Hijos sin hijos (1993), trad. par André Gabastou, Enfants sans enfants, Christian Bourgois, 1999.