La mauvaise conscience de l’hypocrisie
L’ironie est la mauvaise conscience de l’hypocrisie. Comprenons bien que l’intérêt le plus évident du scandale est de rester camouflé et d’entretenir une équivoque dont il est le seul bénéficiaire : la guerre, par exemple, ne demande qu’à devenir juridique pour constituer, comme la paix, un certain ordre naturel ; et le plus mauvais tour qu’on puisse lui jouer, c’est de lui refuser, au contraire, cette légalité dérisoire dont elle s’accommoderait si bien, c’est de la vouloir inhumaine, absurde et anormale, comme elle doit être ; il ne faut pas que l’hypocrisie du « droit des gens », en la rendant supportable et presque sociable, nous crée un modus vivendi avec ce scandale. Qu’elle soit horrible, puisqu’elle est, et qu’elle s’extermine elle-même ! Heureusement la lucide ironie ne s’en laisse pas accroire ; et les bonnes âmes malfaisantes ne seront pas tranquilles tant qu’il y aura des ironistes pour crier à tue-tête leur vrai nom et pour dénoncer leurs nobles rôles, leurs postiches, leurs momeries et leur rhétorique en carton. Que l’ironie est donc indiscrète !
Vladimir Jankélévitch, L’Ironie, Flammarion, 1964.