vendredi 24 octobre 2014

Juste le sentiment du temps qui meurt

On raconte qu’il jouait de la clarinette et imitait les oiseaux, les dindons, les grenouilles. C’est peut-être vrai. Sa fantaisie est indiscutable, mais on a dû sans doute un peu broder. Il photographiait le sourire des jeunes filles, mais de ces photographies-là, pas une n’est restée. Il notait tout, le temps qu’il faisait, les vêtements qu’il portait, les faits divers du jour, combien de litres de lait sa ferme avait vendus, tout et rien. Pour lui les moindres détails avaient leur importance. Mais l’essentiel de sa vie s’était concentré dans les yeux. Wilson était tout entier dans le regard, comme si vivre consistait à voir, à regarder, comme s’il était hanté par le visible, qu’il y cherchait quelque chose éperdument. Mais quoi ? Peut-être rien. Juste le sentiment du temps qui meurt, des formes qui défaillent.

Éric Vuillard, Tristesse de la terre. Une histoire de Buffalo Bill Cody, Actes Sud, 2014.