vendredi 6 mars 2015

Le fondement de ce que nous appelons l’Histoire

La plupart des horreurs commises à mon époque (voilà que je tournais au philosophe) n’étaient pas l’œuvre d’hommes mauvais déterminés à commettre des actes mauvais. C’étaient plutôt les actes d’hommes comme moi. Des hommes avec des critères moraux et esthétiques d’un ordre supérieur – quand cela les prenait. Des hommes qui savaient distinguer le bien du mal et qui agissaient pour le bien, quand ils étaient dans cet état d’esprit. Mais des hommes qui n’avaient pas d’amarres pour maintenir ces convictions et ces critères en place. Des hommes sujets aux humeurs et aux vents changeants, condamnés à se retourner complètement quand une autre humeur, contradictoire, leur tombait dessus. Ils trouveraient toujours, ces hommes lunatiques, une façon de justifier leurs actions et d’en assumer les conséquences. La terminologie qu’ils utilisaient pour justifier leurs crimes était, pour une large part, le fondement de ce que nous appelons l’Histoire.

Steve Tesich, Karoo, traduit de l'américain par Anne Wicke, éditions Monsieur Toussaint Louverture, 2012.