Il faut couper la mèche qui brûle avant que l’étincelle n’atteigne la dynamite
La représentation de la lutte des classes peut induire en erreur. Il ne s’agit pas d’une épreuve de force qui trancherait la question : qui est vainqueur, qui succombe ? Ce n’est pas un combat dont l’issue déciderait du bien-être du vainqueur et du vaincu. Penser ainsi, c’est masquer les faits sous un voile romantique. Car, que la bourgeoisie gagne ou succombe dans cette lutte, elle demeure condamnée au déclin par ses contradictions internes qui lui seront fatales au cours de l’évolution. La question est seulement de savoir si elle s’effondre d’elle-même ou grâce au prolétariat. La réponse à cette question décidera de la survie ou de la fin d’une évolution culturelle trois fois millénaire. L’histoire ignore le mauvais infini qu’on trouve dans l’image de deux guerriers en lutte perpétuelle. Le véritable homme politique ne calcule qu’en termes d’échéances. Et si l’élimination de la bourgeoisie n’est pas accomplie avant un moment presque calculable de l’évolution technique et scientifique (indiqué par l’inflation et la guerre chimique), tout est perdu. Il faut couper la mèche qui brûle avant que l’étincelle n’atteigne la dynamite. L’attaque, le danger et le rythme sont pour l’homme politique techniques – et non chevaleresques.
Walter Benjamin, « Avertisseur d’incendie », Sens unique précédé de Enfance berlinoise et suivi de Paysages urbains, traduit de l’allemand par Jean Lacoste, nouvelle édition revue, Maurice Nadeau, 1988.