mardi 25 novembre 2014

Et l’océan tout entier

Ce que l’on a perdu, ce que l’on aurait dû vouloir, ce que l’on a obtenu et gagné par erreur ; ce que nous avons aimé pour le perdre ensuite, en constatant alors, après l’avoir perdu et l’aimant pour cela même, que tout d’abord nous ne l’aimions pas ; ce que nous nous imaginions penser, alors que nous sentions ; ce qui était un souvenir, alors que nous croyions à une émotion ; et l’océan tout entier, arrivant, frais et sonore, du vaste fond de la nuit tout entière, écumait délicatement sur la grève, tandis que se déroulait ma promenade nocturne au bord de la mer...

Fernando Pessoa, Livro do Desassossego por Bernardo Soares, Le Livre de l’intranquillité de Bernardo Soares, § 95, traduit du portugais par Françoise Laye, Christian Bourgois, 1999.