vendredi 6 mai 2011

De l’impossibilité d’être partout


Vivian Maier, Floride, 22 août 1956.

Nous sommes des mortels aux tympans fragiles ; l’omniprésence ne nous a pas été donnée, pour notre bien probablement, si nous sommes incapables de supporter l’épreuve de l’ubiquité. Être fait de matière suppose de ne jamais pouvoir être partout à la fois : aussi il existe un étroit rapport entre exister et être assis sur une chaise – et j’invite à ne pas lire cette loi comme une facétie de Jean-Paul Richter reprise par De Quincey, reprise par Stephen Leacock, reprise par Macedonio Fernandez, et ainsi de suite jusqu’à ces pages. Être venu au monde, avoir braillé, s’être tenu dans des langes et se savoir limité dans l’espace et le temps suppose pour chaque homme d’élaborer une géographie de mortel, et de mortel localisé : nos planisphères, nos mappemondes, nos voyages, nos antipodes, nos sextants, nos cartes du ciel, nos géostratégies, les calculs de projection de Mercator et les merveilles de l’Extrême-Orient dépendent aussi de notre incapacité d’être à la fois allongé sur le lit et debout à son pied pour se regarder dormir.

Pierre Senges, Environs et mesures, éditions Le Promeneur, 2011.