mardi 1 septembre 2009

Théorie critique



Ils demandent toujours aussitôt : que doit-on faire maintenant ? et exigent une réponse de la philosophie comme si c’était une secte. Ils sont en détresse et veulent des instructions pratiques. Mais la philosophie, bien qu’elle présente le monde en concepts, a ceci de commun avec l’art qu’elle tend le miroir au monde en obéissant à une nécessité intérieure — sans que l’intention s’interpose, justement. Elle a — c’est vrai — un rapport à la pratique plus étroit que l’art, elle ne parle pas en images mais de façon littérale. Elle n’a rien pour autant d’un impératif. Les points d'exclamation lui sont étrangers. Elle a remplacé la théologie mais sans trouver un nouveau ciel à indiquer, pas même un ciel terrestre. Elle ne peut certes le chasser de l’esprit, voilà pourquoi on lui demande toujours le chemin qui mène là-bas. Comme si ce n’était pas justement sa découverte que le ciel dont on peut indiquer le chemin n’en est pas un.

Max Horkheimer, Notes critiques (1949-1969), 1974, traduit de l’allemand par Sabine Cornille & Philippe Ivernel, éditions Payot, 1993.