dimanche 23 août 2009

On frappe



Si nous n’étions pas encore du tout, nous ne serions là pour personne. Mais cette demi-existence où nous sommes peut être aisément dérangée du dehors. Elle n’est pas assez peu, ni assez dense pour y résister. Dans tout ce qui peut nous déranger, il est déjà question de mourir, ce qui nous disperse encore plus qu’on ne l’est déjà, de toute façon. Les coups frappés à la porte qui nous arrachent au sommeil, voire à un travail absorbant, nous font sursauter, mais surtout ils nous piquent et nous paralysent. Dans ces dérangements on pressent déjà quelque chose de la mort ; le travail pénible ne nous absorbe pas assez, au contraire, il nous rend encore plus sensibles. Et l’arrachement ne nous ramène pas toujours à nous-mêmes. Il n’ouvre sur rien de bon. On peut déjà sentir là quelque chose d’intempestif, peut-être faible et vraisemblablement faux, c’est pourtant là et on bute. Des amis deviennent alors facilement des étrangers, évidemment on voit aussi ce que nous sommes et ce qu’ils sont pour nous, quand le léger coup qui nous dérange cesse. On sent alors qu’on n’a pas fini, qu’on ne peut justement pas bien s’arrêter là. En tout cas, ce n’est pas toujours l’attendu qui frappe à la porte.

Ernst Bloch, Traces, traduit de l'allemand par Pierre Quillet & Hans Hildebrand, Gallimard, 1968.