jeudi 29 novembre 2007

Personnalité & bretelles


Depuis toujours, le développement de la personnalité au sens où l’entendent nos classiques, était lié à l’existence des bretelles. Elles seules produisaient cette harmonie de l’esprit et du corps, de l’idéal et de la vie qui est le signe de la plus haute perfection. Si elles étaient fixées, le naturel recevait son dû, sans que l’âme perde le sien. Les pantalons étaient entraînés vers le haut, les idées conservaient un lien avec le sol. (…)
La grande époque est finie depuis bien longtemps. À la place des bretelles, on porte aujourd’hui des ceintures de sport – et cette association de mots en dit déjà assez long. Où qu’on regarde, partout on voit des ceintures. Elles ont une boucle brillante sur le devant, qu’elles découvrent sans hésiter. Si l’époque contemporaine déplore à bon droit le déclin de la personnalité : c’est le port horizontal des ceintures qui en est responsable, il faut lui attribuer l’état de décadence dans lequel se trouve le monde d’aujourd’hui.

Siegfried Kracauer, Straßen in Berlin und anderswo, 1965, Rues de Berlin et d’ailleurs, traduit de l’allemand par Jean-François Boutout, Le Promeneur, 1995.