Plutôt que dépeuplées ses photographies sont silencieuses
Plutôt que dépeuplées ses photographies sont silencieuses. D’un silence particulier, atgétien ; en quoi la lumière des longues secondes d’exposition se convertit, qui détache l’image du monde ambiant et lui fait comme un reliquaire. Silence qui va jusqu’à des nettetés de visions, impératives et soudaines, comme si l’on avait ôté le langage dans le cerveau d’un fou. [...]
Cette immobilité et ce silence, ce présent, ne sont pas d’un temps suspendu, fixé ; de ce temps dont nous disons étourdiment qu’il passe, qu’il s’écoule ; mais le temps lui même, immobile, au sein de quoi tout passe. Le temps n’est pas ce qui use les choses et fait vieillir la vie, il est ce qu’engendre la fatigue des choses, la croissance et la décrépitude, la vie périssable, la ruine. [...] Une mélancolie héraclitéenne infuse dans cette œuvre : on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, qui n’est pas celui du temps, mais notre propre vie allant au déversoir.
Baudouin de Bodinat, « Eugène Atget, poète matérialiste », Trouvailles, novembre 1992, rééd. éditions Fario, 2014.