samedi 18 avril 2009

Le bonheur suppose sans doute toujours quelque inquiétude



Il et bon d’avoir un peu de mal à vivre et de ne pas suivre une route toute unie. Je plains les rois qui n’ont qu’à désirer ; et les dieux, s’il y en a quelque part, doivent être un peu neurasthéniques. [...] Le bonheur suppose sans doute toujours quelque inquiétude, quelque passion, une pointe de douleur qui nous éveille à nous-même. [...] J’ai connu plus d’un roi. C’étaient de petits rois, d’un petit royaume ; rois dans leur famille, trop aimés, trop flattés, trop choyés, trop bien servis, ils n’avaient pas le temps de désirer. Des yeux attentifs lisaient dans leur pensée. Eh bien, ces petits Jupiters voulaient malgré tout lancer la foudre ; ils inventaient des obstacles, ils se forgeaient des désirs capricieux, changeaient comme un soleil de janvier, voulaient à tout prix vouloir, et tombaient de l’ennui dans l’extravagance. Que les dieux, s’ils ne sont pas morts d’ennui, ne vous donne pas à gouverner de ces plats royaumes ; qu’ils vous conduisent par des chemins de montagne ; qu’ils vous donnent pour compagne quelque bonne mule d’Andalousie, qui ait des yeux comme des puits, le front comme une enclume, et qui s’arrête tout à coup parce qu’elle voit sur la route l’ombre de ses oreilles.

Émile-Auguste Chartier, dit Alain, Propos, 22 janvier 1908.