vendredi 18 mai 2007

Janséniste & Jésuite



Le Janséniste est un ami rude, qui n’a point pitié, parce qu’il ne regarde pas à votre faiblesse, mais qui frappe toujours à votre puissance, ce qui est honorer. Redoutable, parce qu’il exige justement ce que vous ne pouvez pas refuser, qui est que vous soyez un homme libre. Sa manière d’aider est de ne point vouloir aider ; car sa maxime principale est que, si l’on ne s’aide point soi-même, rien ne va. Je le compare à une coupe qui va déborder de mépris ; telle est sa manière de réconforter. Comme il est assuré que les moyens extérieurs, qui sont de police et de contrainte, ne changent point réellement un homme, mais que l’homme seul peut se changer lui-même par forte résolution, il observe après le coup de baguette qui avertit, attendant le miracle. Et il ne veut même point dire, ni laisser entendre, que le miracle lui fera plaisir, car l’homme se sauverait peut-être pour lui faire plaisir, et cela ne vaudrait rien. « Il faut, pense-t-il, que votre salut dépende seulement de vous ; et ce que votre volonté peut, rien d’autre au monde ne peut le faire, ni la contrainte, ni la pitié, ni même l’amour. » Si vous voulez apprendre le latin, la musique, la peinture ou la sagesse, trouvez quelque janséniste qui sache ces choses. Vous l’aimerez d’abord sans savoir pourquoi, et peut-être après vingt ans vous découvrirez que lui seul vous aimait. Forgeron.
Le Jésuite est un ami indulgent, qui ne compte pas trop sur vous, mais aussi qui travaille d’approche, et vous prend dans les liens ténus de l’habitude, ne vous demandant que de sourire d’abord, et de vous plaire avec lui ; c’est qu’il a éprouvé la faiblesse humaine et que c’est là qu’il regarde toujours, se disant que les actions finissent toujours par entraîner l’homme. Aussi que vous fassiez ce qu’il faut faire avec ennui, ou pour lui plaire, ou seulement par esprit d’imitation, il n’y regarde guère, prêtant surtout attention aux costumes et aux manières, enfin à la grâce extérieure, faute de laquelle l’homme le mieux doué trébuche sur le premier obstacle. Celui-là, vous commencerez par croire qu’il vous aime, et par vous faire reproche de ne pas l’aimer. Seulement, après vingt ans, quand il vous aura appris à tirer parti même de votre paresse, vous découvrirez qu’il vous méprise un peu, comme il méprise tout et lui-même. Or, le Jésuite a raison aussi ; car il n’y point de vie humaine bien composée si l’on néglige le côté extérieure et les moyens de politesse. Ayez donc les deux comme précepteurs, si vous pouvez, et ensuite comme amis.
Je dis Jésuite et janséniste parce que ces mots font portrait. Mais sachez bien que ces deux espèces d’hommes sont un peu plus anciennes que les ordres religieux, les hérésies et de drame du Calvaire. Bref, il y a deux religions ; une de manières, une autre de jugement. Les manières ne sont pas tout ; mais il faut des manières, une attitude, une certaine tenue qui s’accorde avec le temple et la cérémonie. L’esprit jésuite pense que cela suffit et que le jugement suivra. On peut penser au contraire, comme le janséniste, que le jugement en mourra, et que l’assistant bien élevé ne pensera plus jamais. (...)

Émile-Auguste Chartier, dit Alain, Propos, 12 février 1923.