mardi 30 janvier 2007

« S’il avait voulu »

A force de vivre replié sur lui-même, à force de douter de tout et de tout le monde y compris de lui-même, il est tout naturellement porté à se prendre pour une version moderne du héros byronien. A côté des figures historiques de l’individualisme romantique de l’homme de la Renaissance, de Robinson Crusoé et de Jean-Jacques Rousseau, le déraciné propose une variante nouvelle, celle du solitaire qui emploie toute son énergie à s’apitoyer sur lui-même. Notre romantique frustré, tout pénétré qu’il est de la nécessité de « s’engager » et de s’embarquer, appareille bien rarement, car c’est à peine s’il croit que le voyage en vaut la peine : il reste le plus souvent sur la rive et devient l’éternel nostalgique « qui aurait pu, s’il avait voulu ».

Richard Hoggart, La Culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, traduit de l’anglais par Françoise & Jean-Claude Garcias et par Jean-Claude Passeron, Éditions de Minuit, 1970.