lundi 26 mai 2014

Le Club des méprisants

Situé derrière la gare d’Austerlitz ce club groupait des membres méprisants. Les réunions avaient lieu en principe le lundi et se déroulaient au milieu d’un profond mépris. Le processus en était toujours à peu près le même, le Président jetait un regard méprisant sur les membres, ceux-ci le regardaient en ricanant, certains lui tournaient ostensiblement le dos, d’autres crachaient par terre. Le Président haussait les épaules et lisait trop vite et du bout des dents un texte désinvolte qu’il froissait ensuite entre ses mains. Ces réunions ne pouvaient durer plus de quelques minutes en raison de l’animosité qui ne cessait de croître entre les membres que seul leur mutuel mépris empêchait de se battre. Cela ne pouvait donc durer et ne dura pas en effet plus de quatre ans ce qui n’est déjà pas négligeable.

Chaval, Les Gros Chiens, éditions Climats, 1990.

dimanche 25 mai 2014

La grimace qu’il faudrait faire pour exprimer toute sa vraie âme sans rien en perdre

Autant pas se faire d’illusions, les gens n’ont rien à se dire, ils ne se parlent que de leurs peines à eux chacun, c’est entendu. Chacun pour soi, la terre pour tous. Ils essayent de s’en débarrasser de leur peine, sur l’autre, au moment de l’amour, mais alors ça ne marche pas et ils ont beau faire, ils la gardent tout entière leur peine, et ils recommencent, ils essayent encore une fois de la placer. « Vous êtes jolie, Mademoiselle », qu’ils disent. Et la vie les reprend, jusqu’à la prochaine où on essayera encore le même petit truc. « Vous êtes bien jolie, Mademoiselle !… »
Et puis à se vanter entre-temps qu’on y est arrivé à s’en débarrasser de sa peine, mais tout le monde sait bien n’est-ce pas que c’est pas vrai du tout et qu’on l’a bel et bien gardée entièrement pour soi. Comme on devient de plus en plus laid et répugnant à ce jeu-là en vieillissant, on ne peut même plus la dissimuler sa peine, sa faillite, on finit par en avoir plein la figure de cette sale grimace qui met des vingt ans, des trente ans et davantage à vous remonter enfin du ventre sur la face. C’est à cela que ça sert, à ça seulement, un homme, une grimace, qu’il met toute une vie à se confectionner, et encore qu’il arrive même pas toujours à la terminer tellement qu’elle est lourde et compliquée la grimace qu’il faudrait faire pour exprimer toute sa vraie âme sans rien en perdre.

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Denoël & Steele, 1932.  

samedi 24 mai 2014

La pensée fait mal aux reins

La pensée fait mal aux reins. On ne peut à la fois porter des fardeaux et des idées.
Remy de Gourmont, Promenades philosophiques, Mercure de France, 1905.

vendredi 23 mai 2014



Zakâriyâ ibn Mohammed ibn Mahmûd al-Qazwini, ʿAjā'ib al-makhlūqāt wa gharā'ib al-mawjūdāt [Les Merveilles des choses créées et les curiosités des choses existantes], Bayerische StaatsBibliothek, Cod. arab. 464, 1280.

vendredi 2 mai 2014

Rien n’avait commencé puisque rien ne continuait

Si quelque chose un jour commença d’avoir lieu, quelque chose qui voulait « prendre » pour bientôt prendre forme et plus tard prendre fin, nous l’avons oublié très vite, nous ne l’avons pas ramassé, pas raconté ; nous l’aurions pulvérisé plutôt. Nous, à qui le séjour de la moindre des choses donnait la crainte de la retrouver collée. Rien n’avait commencé puisque rien ne continuait, rien dans aucune direction ferme. La Terre n’était pas notre sol, notre mère, et certains voulaient croire que nous passions sur elle pour l’alléger. Les aveugles rêvaient à des murs qui n’auraient pas arrêté leur main

Roland Dubillard, « Les Campements », Olga ma vache, Gallimard, 1974. 

jeudi 1 mai 2014


 












« – Vous travaillez ?
– Tout le temps
– La nuit aussi ?
– La nuit surtout et la nuit dans le jour.
– Dans quelle branche ?
– Les sources, les racines, les commencements, les entrées et les sorties en matière. »

Christian Dotremont

La résolution que nous avions prise

La résolution que nous avions prise de demeurer irrésolus nous semblait plus tristement que les autres impossible à tenir. Une perfection, ni passée ni présente, sous-tendait notre parole et l’utilisait à rendre lumineuse l’imperfection de nos mœurs. Force nous était de la rejeter dans un futur inattendu mais fatal. Après nous ne savions quel bouleversement, un simple déclic de l’imparfait, comme lorsque deux gouttes d’eau se fondent en une, nous rendait capables de saisir ce que nous ne faisions qu’apprécier, accomplirait la promesse distante que semblaient nous faire les objets. Ceux qui se refusaient à l’expérience de l’encre pressentaient vaguement l’avenir comme un incendie.

Roland Dubillard, « Les Campements », Olga ma vache, Gallimard, 1974.