jeudi 25 février 2010

Toujours ils trouveront pour eux-mêmes un nom plus modeste

Choisir ses fréquentations. — Est-ce trop demander que de vouloir rechercher la fréquentation d’hommes qui sont devenus agréables au goût et nourrissants comme les châtaignes que l’on a mises au four à temps et retirées du feu au bon moment ? D’hommes qui attendent peu de la vie et préfèrent accepter celle-ci en cadeau plutôt que de la mériter, comme si les oiseaux et les abeilles la leur avaient apportée ? D’hommes qui sont trop fiers pour pouvoir se sentir jamais récompensés ? Et trop sérieux dans leur passion de la connaissance et de la droiture pour avoir le temps et la complaisance de la gloire ? — Nous appelons philosophes de pareils hommes, et toujours ils trouveront pour eux-mêmes un nom plus modeste.

Friedrich Nietzsche, Aurore. Réflexions sur les préjugés moraux, § 482, traduction de l’allemand par Henri Albert, revue par Angèle Kremer-Marietti, Librairie générale française, Livre de poche, 1995.

mardi 16 février 2010

lundi 15 février 2010

« Humanité »


Birgit Jürgenssen, Ohne Titel (Olga), 1978

Nous ne considérons pas les animaux comme des êtres moraux. Mais pensez-vous donc que les animaux nous tiennent pour des êtres moraux ? — Un animal qui savait parler a dit : « L’humanité est du moins un préjugé dont nous autres animaux nous ne souffrons pas. ».

Friedrich Nietzsche, Aurore. Réflexions sur les préjugés moraux, § 333, traduction de l’allemand par Henri Albert, revue par Angèle Kremer-Marietti, Librairie générale française, Livre de poche, 1995.

dimanche 14 février 2010

« Trois le matin »

Suivre le cours des choses et achever son œuvre sans même en avoir conscience, tel est, pour moi, le mode de fonctionnement des choses. Tandis que fatiguer son esprit à distinguer les choses une à une sans voir qu’elles sont identiques, c’est ce que j’appelle « trois le matin ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Eh bien ceci :
Un éleveur de singes dit un jour à ses pensionnaires en leur distribuant leurs châtaignes : « Désormais, vous en aurez trois le matin et quatre le soir ». Fureur chez les singes. « Bon, alors, fait l’homme, ce sera quatre le matin et trois le soir. » Et les singes de manifester leur contentement.
Bien que rien ne fût changé de la réalité et de sa désignation, l’homme sut provoquer tout à tour la colère et la joie. C’est cela suivre le cours des choses. c’est pourquoi le sage instaure la concorde grâce à un usage judicieux de l’affirmation et de la négation et se laisse porter par le mouvement céleste. Voilà ce qui s’appelle opter pour l’ambivalence.

[Tchouang-Tseu,] Les Œuvres de Maître Tchouang, chapitre II, traduit du chinois par Jean Levi, Paris, éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2006.